Notre époque est appelée à réaliser une synthèse de l’Orient
et de l’Occident ; c’est là son Dharma.
Mais si nous prenons l’Occident comme fondement ou élément
primordial de cette synthèse, nous commettons une grave erreur. C’est l’Orient
qui est la base, l’Orient la pierre angulaire. Le monde extérieur s’appuie sur
le monde intérieur, et non l’inverse. L’élan du cœur et la foi sont la source
de l’énergie et de l’action ; il faut les sauvegarder, mais ne pas être
attaché aux formes et aux moyens de l’action, ni aux multiples expressions de l’énergie.
Les Occidentaux se préoccupent des formes et des éléments extérieurs de la
démocratie, mais ils y sont tellement attachés qu’ils ne s’aperçoivent pas que,
sous le poids des structures, leur ferveur et leur foi finissent par s’étioler.
Or la forme n’est là que pour donner corps à l’aspiration profonde. C’est elle
qui crée la forme, c’est la foi qui forge les matériaux. L’Orient s’élance vers
une nouvelle aurore, vers la lumière ; l’Occident s’enfonce dans les
ténèbres de la nuit.
(…)
C’est dans l’attachement aux formes et aux méthodes qu’il
faut chercher la cause de la perversion de l’idéal démocratique. L’Amérique,
après avoir créé un gouvernement favorable à la démocratie, se targuait de n’avoir
point son égale dans le mode sur le plan de la liberté. Mais, en fait, le
Président et les hauts fonctionnaires exercent, avec l’aide du Congrès, une
autorité arbitraire, favorisant l’injustice et la rapacité des capitalistes,
tandis qu’eux-mêmes s’enrichissent en abusant de leurs pouvoirs. Le peuple ne s’exprime
de façon indépendante que durant la période des élections ; même alors,
les riches dépensent des fortunes pour défendre leurs privilèges ;
achetant les représentants du peuple, ils exploitent celui-ci sans merci et lui
imposent leurs diktats. La France est la patrie de la liberté et de la
démocratie, mais les hauts fonctionnaires et ses officiers de police qui, par la
volonté du peuple avaient été mandatés pour être les instruments du
gouvernement, règnent maintenant en petits despotes redoutés. (…)
Ce résultat est inévitable quand la vision est tournée vers
l’extérieur. Animé d’une force râjasique, l’asura
au faîte de la gloire, triomphe pour un temps, puis ses défauts
intrinsèques se révèlent au grand jour ; tout s’effondre alors et n’est
plus que poussière. Seul un pays où la culture repose sur la foi, sur la
réalité intérieure et sur un idéal d’action désintéressée fondée sur la
Connaissance, est en mesure d’établir une synthèse entre l’Orient et l’Occident,
entre les valeurs morales et spirituelles et les réalisations matérielles, et
de résoudre ainsi de façon satisfaisante ses problèmes politiques, économiques
et sociaux.
Mais cette solution, nous ne pourrons la trouver aussi
longtemps que nous demeurerons soumis aux modes de connaissance et d’enseignement
qui nous viennent de l’Occident. Il nous faut acquérir la maîtrise de ce qu’il
peut nous apporter, tout en gardant nos racines dans l’Orient. La manifestation
extérieure doit s’appuyer sur une base intérieure. Nous nous exposerons à de
graves dangers si nous adoptons les systèmes ou les modes d’expression de l’Occident.
Nous devons créer nos propres méthodes, conformes à notre propre nature et à l’esprit
oriental.
( extrait Vers l'Indépendance . Sri Aurobindo écrits 1906-1910)
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